(EXCLU) Roman Protassevich et la machine de propagande russe
Note de Vincent: Il s’agit d’un contenu rédigé par un ami, Nicolas Guisset, spécialiste du Bélarus et défenseur des libertés. Ceci ne vise pas à défendre particulièrement qui que ce soit mais à rétablir des faits.
Et les faits vont dans le sens d’une folie furieuse du dictateur biélorusse, soutenu par Vladimir Poutine et une décrédibilisation organisée d’un opposant kidnappé sur le sol (aérien) européen en violation du droit international.
Si vous avez d’autres informations sur le sujet, notamment sur FOIA Research, contactez-moi !
Roman Protassevich et la machine de propagande russe
L’arrestation de Roman Protassevich fait la une médiatique depuis 3 jours. Elle nous rappelle ce qu’est une véritable dictature, celle qui n’hésite pas à utiliser des approches dignes de terroristes pour faire taire toute forme d’opposition. Pour rappel, le Belarus est dirigé par un dictateur, Aleksander Loukashenka, qui depuis les élections manipulées du 9 août dernier doit faire face à une révolte jamais connue au Belarus et exceptionnelle dans sa forme pacifique et son ampleur populaire. La réponse du dictateur pour y remédier ? La violence brute : toute forme d’opposition est détruite par des arrestations suivies d’amendes, de viols et tortures en prison et des assassinats. Au moins onze opposants ont été assassinés lors de leurs arrestation ou en prison depuis les élections du 9 août, le dernier cas connu étant Vitold Ashurak il y a 4 jours. L’UE réagit avec différentes sanctions financières et économiques et le dictateur Loukashenka se tourne donc vers la Russie de Poutine comme dernier rempart auquel s’accrocher pour assurer sa survie.
Dans sa lutte pour détruire toute opposition, la dictature n’a donc pas hésité à détourner un avion de ligne entre Athènes et Vilnius, deux capitales de pays membres de l’UE, en inventant une alerte à la bombe. Le but était d’arrêter Roman Protassevich, un journaliste de la chaîne d’information biélorusse Nexta, qui se trouvait à bord. Nexta est une chaîne qui soutient l’opposition biélorusse et qui a joué un rôle important depuis des années. Elle s’est construite une crédibilité solide au Belarus et n’a jamais caché son engagement en faveur d’une sortie de Loukashenka. Lors des manifestations qui ont suivi les élections fraudées du 9 août dernier, Nexta ne cachait aucune image et transmettait des informations sur les déplacements et arrestations des forces de l’ordre en appelant au soutien des habitants menacés. Ses journalistes, et surtout son créateur Stepan Poutsilo, sont activement recherchés par la dictature. C’est également le cas de Roman Protassevich qui travaillait pour Nexta comme rédacteur en chef lors de l’année 2020.
Roman Protassevich n’était pas spécialement connu par le large public au Belarus et encore moins à l’étranger avant son arrestation. Depuis, il est devenu un symbole de lutte contre une dictature soutenue par la Russie. Comme toute personne qui lutte contre les dictatures de l’Est, une campagne de fake news est lancée à son sujet afin de le décrédibiliser.
Voici un aperçu détaillé.
Acte 1. Commençons par le plus gros morceau : les données répertoriées par le site FOIA Research (https://www.foiaresearch.net/person/roman-protasevich). Ce site se présente comme ‘une plateforme non-gouvernementale qui se concentre sur les relations transnationales de l’extrême droite, particulièrement les structures néo-nazis et paramilitaires’. Une description qui inspire confiance. Néanmoins, les erreurs et approximations dans le cas de Protassevich sont nombreuses. On peut par exemple y lire que Protassevich ‘a un passé néo-nazi’ car… il suit les notifications Facebook de la page dédiée au détachement ‘Pagonia’ qui s’est battu dans le Donbass aux côtés du détachement ukrainien Azov. Ces derniers sont en effet des néo-nazis qui ne le cachent pas. Aucun lien direct ne peut être établi entre ce détachement ‘Pagonia’ et du néo-nazisme cependant : aucun symbole, aucune action de leur part ne traduit des sympathies nazies. (https://www.facebook.com/pg/belpahonia)
Les ‘preuves’ suivantes avancées par FOIA Research concernent des manifestations auxquelles Protassevich aurait participé. Des manifestations de l’extrême droite biélorusse selon le site de FOIA Research. Bizarrement, aucune photo de ces manifestations ne montre Protassevich lui-même. Sur quelle base FOIA Research peut donc prétendre que Protassevich y était un participant et non un reporter qui faisait son travail en couvrant une manifestation ?
FOIA Research publie dans la foulée des photos de participants masqués, qu’il est donc impossible d’identifier, en indiquant que Protessevich se trouve parmi eux. Comment ces personnes masquées et donc non-identifiables ont-elles été identifiées par FOIA Research ? Nul ne le sait, il n’y a pas d’explication.
Il s’agit d’une seconde suggestion présentée sur un plateau comme une preuve irréfutable de l’appartenance de Protassevich à l’extrême droite. Les sources de ces images sont mentionnées par FOIA Research sous chacune d’elles. Etonnamment, aucun de ces liens ne fonctionne. Comme preuve de sa présence lors de cette manifestation, FOIA Research avance un communiqué du Comité de Protection des Journalistes (CPJ) dans lequel il est indiqué que Protessevich a été arrêté et a reçu 10 jours de prison le 28 mars 2017 pour des faits de désordre public. Le communiqué du Comité de Protection des Journalistes indique par ailleurs que Protassevich travaille pour un journal russe. Ce communiqué n’indique ni le lieu de son arrestation ni la date. La manifestation dont parle FOIA Research a eu lieu le 10 mars.
Cependant, toute l’année 2017, y compris le mois de mars, a été marquée par des manifestations à travers tout le Belarus. Trois questions s’imposent donc : premièrement, comment FOIA Research peut donc faire un lien entre le communiqué du 28 mars et la manifestation du 10 mars ? Deuxièmement, comment FOIA Research peut prétendre que Protassevich était présent lors de ces manifestations comme participant et non comme journaliste ? Troisièmement, sur quelle base FOIA Research présente la manifestation à Brest le 10 mars comme une manifestation de l’extrême droite alors que les participants étaient nombreux et diversifiés ?
Le reste de la description de FOIA Research concerne les activités de Protassevich après 2017. Il n’y a plus d’accusations d’appartenance à l’extrême droite ou le nazisme. Que reste-t-il donc de ces accusations et leurs supposées preuves avancées par FOIA Research ? Un like sur Facebook ?
A travers leurs descriptions différents personnages, FOIA Research laisse clairement apparaître son sentiment négatif vis-à-vis des révoltes de l’Est, dont il est suggéré qu’elles sont financées et organisées par les USA. Il est également étonnant qu’il est impossible d’y retrouver des personnages, organisations ou faits d’extrême droite ou de néo-nazisme en Russie spécifiquement. L’extrême droite et le néo-nazisme y sont pourtant bel et bien actifs, que ce soit dans la politique (Zhirinovsky est un personnage bien connu) ou la société avec des violences régulières contre les ‘culs noirs’, le terme employé pour désigner les personnes originaires de l’Asie Centrale ou du Caucase. Pourquoi une organisation que se présente comme une ONG et comme une référence pour répertorier les relations transnationales de l’extrême droite oublierait les activités de celle-ci dans un des plus grands pays du monde ?
Acte 2. Les fakes concernant Protassevich répandus sur Twitter également. FOIA Research ne semble pas le seul à partager des informations fausses au sujet de Protassevich. Plusieurs comptes Twitter relayent une photo d’un jeune homme portant un casque SS en le présentant comme étant Protassevich (ci-dessous).
Les traits du visage semblent correspondre, même s’il y a des différences au niveau des lèvres et du nez. Une simple recherche via Google Images suffit pour tomber sur l’origine de cette photo : elle vient d’un profil sur le réseau social ‘VKontakte’, en quelque sorte le Facebook de l’Europe de l’Est (https://sun9-20.userapi.com/impf/c638716/v638716958/18d6b/PcQCO9GNHLk.jpg?size=2560×1440&quality=96&sign=a7a3ddfe581e2257efa341a3c810a7b4&type=album). Le profil (https://vk.com/id91075958) est celui d’un certain Eduard Lobov, originaire de Minsk. Il ne cache pas ses sympathies pour le nazisme et poste une centaine de photos de lui-même en uniformes militaires ou nazis. Il n’y a aucun lien apparent avec Roman Protassevich, à part leur nationalité. Impossible de savoir s’ils se connaissent et quel serait le lien entre eux.
La recherche inversée sur Google Images est d’ailleurs très intéressante sur un autre point : on y voit les comptes Twitter qui ont partagé cette photo et donc les fausses informations à propos de Protassevich. Ce n’est pas un hasard si ce sont principalement des profils francophones et grecs proches de partis et mouvements communistes qui relayent ces informations, mais il est plus étonnant qu’un journaliste qui travaille pour un journal d’envergure comme Le Monde Diplomatique participe au partage de ces fakes. En l’occurrence, il s’agit de Renaud Lambert via un retweet (https://twitter.com/renaudlambert).
Autre site qui relaye ce fake à propos de Protassevich : histoireetsociete.com. Et là également, il est question de liens étroits avec les mouvements communistes.
En conclusion:
Il est évident que ces fakes concernant les opposants aux dictatures de l’Est servent à décrédibiliser la lutte des populations qui y sont soumises et se révoltent. Les fakes concernant Protassevich sont identiques à ceux qui concernaient les opposants ukrainiens qui ont renversé Viktor Yanukovich en 2014. Parler de nazis, c’est un discours qui suscite l’indignation chez beaucoup de personnes autant à l’Est qu’à l’Ouest de l’Europe. La rhétorique de combat contre les forces maléfiques nazies, soutenues par l’Occident, est régulièrement utilisée par Poutine lui-même. Etant donné que les faits ne correspondent pas à cette rhétorique, il est nécessaire de créer de fausses informations qui donneraient une crédibilité à ce discours. Et ça marche parfois, justement parce que le sujet du nazisme tient à cœur beaucoup d’entre nous. L’émotion tend à renforcer les biais cognitifs et endormir le sens critique dont il faut s’armer pour déjouer les fake news.
Nicolas Guisset.